Je vous remercie de m’offrir de dire ici quelques mots. Je le fais, hélas, à la place de Jean-Philippe Motte, qui avait tant et si longtemps souhaité que cet hommage puisse être rendu à un homme dont il avait presque tout lu et relu, et qui l’aura nourri tout au long de sa vie.
A quoi s’ajoute un compagnonnage presque ininterrompu avec la revue Esprit.
Il est émouvant - et juste je crois - que leurs noms soient ici un moment associés. Lorsque, Grenoblois ou touristes, nous déambulerons dans cette rue passante, au cœur de la ville, j'espère que cette plaque discrète, à l'image de celui qu'elle honore, éveillera notre curiosité et nous donnera l'envie de le découvrir si ce n’est déjà le cas ou de mieux le connaître.
Et ainsi pourrons-nous mieux saisir l'inouï de son actualité en ces temps quelques peu accablants de "désordre établi" pour reprendre ses mots.
Comme lui, nous vivons des temps d’urgence même s’il n’y a pas lieu de les confondre. Nous ne pouvons rester les bras ballants, dans l’inaction, dans la pseudo-pensée qui insidieusement nous formate, la vindicte des mots qui instille la haine ou, tout aussi grave, le mielleux de la bonne conscience.
Je formule le vœu que cette plaque nous relie aux lieux, et aux personnes qui tous portent sa mémoire, ouvrent l'avenir et pour se faire suscite le désir de lire son œuvre.
Parmi ces lieux, j’en choisis d’abord un ; pour honorer son épouse : c’est Bruxelles, où il rencontra Paulette Leclercq devenue Paulette Mounier. Elle aura été partie prenante de tous ses engagements, et, bien au-delà de sa mort prématurée, de la diffusion d’une œuvre qu’il appartient de garder vive.
Mais Bruxelles aussi comme témoin de son engagement pour l’Europe.
Bruxelles encore, où il fut un court moment professeur de philosophie au Lycée Français. C’était à l’époque un tout petit lycée au centre de la Ville, tout proche de la gare du midi. C’est là que mon propre enseignant de philosophie, « mon prof de philo» me le fit découvrir. D’abord par la lecture d’un petit livre bleu, disons plutôt couleur lavande comme celles de Dieulefit. « Introduction aux existentialismes. » J’aime ce pluriel, qui dit l’ouverture et l’envergure d’une pensée peut-être inclassable. Depuis ce lycée a déménagé est devenu un immense établissement. Il se nomme Jean Monnet ; la plus grande salle de réunion porte le nom de celui que nous honorons aujourd’hui.
Revenons ici à Grenoble. Quand on parle de Mounier c’est à un lycée là encore et qui porte son nom, que l’on pense le plus souvent.
A Grenoble, dans notre région, en France, en Europe, dans le monde tant d’autres lieux, et bien évidemment tous ceux qui les animent, fabriquent patiemment les liens qui font société. Ils retissent obstinément ces liens : lieux d’enseignements, librairies, bibliothèques, maisons d'édition et d'autres encore bien sûr liés à la culture et au débat, comme la Maison de l’international qui nous accueille tout près d’ici. Mais aussi lieux souvent modestes où s’invente la solidarité, lieux qui portent le souci des personnes, le soin de l’autre. Tâches décisives pour Mounier car le soin est un humanisme comme l’écrit la philosophe est un humanisme.
Jalon dans la ville, c’est aussi à eux que cette plaque se réfère.
Elle évoque la vie d'Emmanuel Mounier, si courte, trop courte sans doute, mais vigoureuse et féconde qui nous oblige et oblige notamment les plus jeunes à prendre maintenant le relais.
Le dévoilement de cette plaque est un évènement qui nous engage à raviver l’espérance, celle dont Péguy parle si bien.
Marie-France Motte
4 octobre 2019