Né à Grenoble le 1er avril 1905 de parents modestes d’ascendance paysanne et fervents chrétiens, il fait des études de philosophie marquées par l’enseignement et l’amitié de Jacques Chevalier (1924-1927), dont il tient un temps le secrétariat. Il s’agrège au « groupe de travail en commun » formé autour du philosophe catholique, subventionné par le Lyonnais Victor Carlhian et animé entre autres par Jean Guitton.
Préparant l’agrégation en 1927-1928 à la Sorbonne, il reste imperméable à l’idéalisme de Brunschvicg, visite Bergson, fréquente le P. Pouget et Jacques Maritain qui, détaché de l’Action française, cherche la voie d’un engagement civique démocratique. Reçu second derrière Raymond Aron, il envisage une thèse sur un mystique espagnol du XVIe siècle, obtient une bourse de doctorat et enseigne au collège Sainte-Marie de Neuilly dirigé par Mme Daniélou. Mais il se détourne bientôt de la recherche pour une activité de réflexion militante, à laquelle l’a initié sa collaboration, à la suite de Guitton, au groupe des « Davidées » animé par Mlle Silve pour le soutien et la formation des institutrices catholiques travaillant dans l’école laïque. La méditation de l’œuvre de Péguy, qu’il étudie avec Jean Daniélou et Georges Izard le confi rme dans la voie d’un engagement de pensée pour l’action. Animé d’une conviction intégrale de chrétien catholique, source d’une intense vie spirituelle, il renonce à l’apostolat organisé pour développer un mouvement non confessionnel, en étroite union avec des amis qui ne partagent pas sa foi. Il renonce alors à la carrière de professeur (il n’enseigne qu’un an au lycée de Saint-Omer en 1931-1932) et projette avec Izard et André Déléage puis Louis-Émile Galey de lancer une revue ; Maritain l’y encourage, alors que Chevalier le désapprouve.
Le groupe de jeunes intellectuels en quête d’affi rmation révolutionnaire réuni à Font-Romeu en août 1932 confie la direction de la revue Esprit, lancée en octobre, à Mounier et celle d’un mouvement politique parallèle, la « Troisième Force », à Izard. La vie de Mounier se confond désormais avec celle de la revue mensuelle dont il assure jusqu’à sa mort la direction, la gestion et une bonne partie de la rédaction ; il anime aussi le mouvement « personnaliste » qui se développe autour d’elle après que la Troisième Force s’en soit séparée en 1933. Marié en 1935 à Elsa (Paulette) Leclercq, rencontrée en 1933 auprès de Jacques Lefrancq à Bruxelles, vivant pauvrement de quelques cours et du salaire de son épouse, Mounier se dépense en rencontres et conférences tout en rédigeant articles et ouvrages.
Directeur de la revue jusqu’à sa mobilisation en 1939, il partage ensuite avec le directeur du Voltigeur français Pierre-Aimé Touchard, non mobilisé, la direction des deux périodiques fusionnés. La démobilisation de juillet 1940 ouvre la période lyonnaise retracée dans le présent ouvrage, qui aboutit à son arrestation en janvier 1942. Emprisonné jusqu’au procès de Combat à Lyon, il est acquitté le 30 octobre et se réfugie avec sa famille à Dieulefit sous un faux nom jusqu’à la libération. Il y garde le contact avec ses amis et rédige deux livres, en donnant plusieurs articles aux Cahiers politiques clandestins, organe du Comité général d’études créé par Jean Moulin.
Il relance Esprit à Paris dès la Libération. Installé avec plusieurs amis dans la propriété des Murs blancs à Châtenay-Malabry, il reprend des tâches accrues : directeur de la revue et des collections Esprit aux éditions du Seuil, animateur de groupes de réflexion, conférencier, auteur de nombreux articles, de causeries à la radio et de plusieurs ouvrages. Honoré par la France résistante, il est reconnu comme le chef de fi le du courant personnaliste, interlocuteur des intellectuels communistes et existentialistes, principal maître à penser de la jeune génération chrétienne et protagoniste de tous les débats politiques et religieux de ces années. Il meurt brutalement à 45 ans d’un infarctus survenu en pleine activité, le 22 mars 1950.
Autant que le penseur et l’animateur, l’homme Mounier a compté pour ceux qui le rencontraient : son acharnement au travail masquait un tempérament méditatif, voire mystique ; polémiste audacieux et mordant, il n’a cessé d’accueillir et d’écouter avec respect les interlocuteurs les plus différents ; intransigeant dans ses convictions, il a voulu en témoigner dans une confrontation constante avec des situations et des événements qu’il tentait d’interpréter dans leur complexité.
Bernard Comte